Les gravures sur pierre des bergers
Patrimoine mineur et méconnu, les gravures sur pierre des bergers, lors des transhumances font partie du patrimoine pastoral. Peu de personnes, à l’exception de Joseph Thirant, que j’avais rencontré jadis, au refuge la Grange de Holle, se sont penchées sur ce thème qui représente, parmi d’autres, une mémoire collective de nos hautes vallées. Le Béarn, essentiellement tourné vers le pastoralisme, à recensé depuis des années, ces traces de passage de leurs bergers, pas moins de 1 600. A ce jour, Joseph Thirant en a recensé en Lavedan environ 150.
Pourquoi ces gravures ?
La réponse la plus courante : pour passer le temps, car les journées étaient longues en estive et la solitude difficile à supporter. Joseph Thirant avance une seconde réponse : pour s’affirmer, pour marquer sa présence et son existence. Ces bergers étaient souvent des cadets et ne participaient jamais aux décisions de la famille. Parias, ils s’appropriaient ainsi, à peu de frais, de la montagne. De plus, leurs inscriptions prolongeaient leur existence, elles étaient censées être éternelles ; tant que les lichens ne les recouvraient pas.
Que gravaient-ils ?
Avec leur couteau ou un clou, une pierre servant de marteau, ils inscrivaient généralement leur nom, leurs initiales où la date de leur passage. Plus rarement des états d’âme : « j’ai faim, je n’ai pas de pain ; il fait froid... » Certains noms sont surmontés d’une croix ou encadrés. Peu de dessins.
Le plus surprenant c’est que peu de gravures sont antérieures à 1860 (1). Et la plupart sont écrites en français et non en bigourdan, pourtant langue vernaculaire. Ce qui montre l’importance de la diffusion de la langue nationale à l’époque. Parler patois était interdit à l’école. Joseph Thirant constate que ces inscriptions ont tendance à disparaître après 1930 : fin des cadets et des longues journées en solitaire grâce à l’apparition de la voiture ?
La revue Bigorre Magazine avait fait un article sur le sujet, en 2003.
(1) A l'exception de l'étonnante et récente découverte au nord du lac d'Estaing à la zone pastorale de Liantran, où les dessins datent de l'âge de bronze.
Gravures diverses
À Lourdes
Aux Espélugues
Les Espélugues ont abrité également un certain nombre de pierres ou galets gravés qui ne sont pas du paléolithique, mais plutôt d'un âge historique, probablement du haut Moyen Âge. Même si à leur sujet, H. Breuil a écrit : « Nous pensons que ces gravures ont été jugées fausses à tort. En effet si on les rapproche des peintures de Las Batuecas (Espagne) [...] on est frappé de leur analogie.[...] Il est probable que les gravures de Lourdes ne sont pas magdaléniennes, mais aziliennes, comme les peinture de Las Batuecas ». André Clot s’est senti obligé de préciser : « L'âge des peintures de Las Batuecas semble devoir être rajeuni, et ramené probablement au début de la protohistoire. La grotte de Lourdes ayant fourni des vestiges protohistoriques et même historiques, il est fort probable d'attribuer ces gravures à une telle période, peut être au Moyen Âge » Bref un doute subsiste.
Le même André Clot, dans une plaquette éditée par le bulletin de la société archéologique du Gers de 1973, quatrième trimestre, pages 399 à 403 a longuement analysé ces fameuses gravures sur pierre et os qu’il juge douteuses. Nous sommes effectivement loin des qualités graphiques des gravures du quaternaire. La difficulté de datation vient en effet du bouleversement des strates par les premiers naturalistes et surtout du vidage complet en 1873, des cavités du contenu magdalénien de ce site unique. Vidage, résultant de la demande des pères des Sanctuaires pour le transformer en chapelle chrétienne.
En remarque préliminaire A. Clot précise que toutes ces gravures n’ont pu être faites, vu leur trait profond en V, par des silex, mais par un objet tranchant probablement métallique. Il constate que l’ensemble est homogène, les traitements de certaines parties, comme les yeux, les pattes, le support nuageux sont identiques. Elles viennent, pense-t ’il, de la même main. Et d’analyser trois planches réalisées à partir de toutes les trouvailles de ses nombreux prédécesseurs.
Planche 1, les oiseaux.
Ils sont tous de style très proche, avec le bec pointu, l’œil figuré par un tarit courbe rejoignant le bout de la tête, des pattes à trois doigts, une seule aile gravée, certains ont posé sur des traits ondulés faisant penser à des nuages, traits que l’on retrouve sous d’autres animaux comme des chevaux sur la planche suivante. Les numéros sont ceux de l’inventaire au musée de Saint-Germain–en-Laye où ces gravures sont déposées. Des moulages, don de M. Laffitte en 1921, se trouvent au Musée pyrénéen.
Planche 2, les équidés
Certains reposent sur des traits ondulés comme pour les oiseaux, seule la gravure c a été analysée par R. Nelli. La gravure d qui a été réalisée sur une plaque schisteuse représente deux corps stylisés sans aucun détail, sans patte avec une tête à deux oreilles, un œil et un naseau. La gravure la plus intéressante est sans conteste, le numéro 55319 : l’on peut voir un humain accolé à l’animal, essayant probablement de le monter ; il tient un renne dans sa main. Les pointillés correspondent à des traces de feu.
Planche 3, les poissons et divers
Les poissons ont été décrits par H. Breuil et R. de Saint-Périer (1). Le dernier des quatre à la tête allongé est susceptible d’être une anguille ou un serpent.
Le quadrupède numéroté 55317, probablement un équidé à crinière, « caparaçonné et orné comme pour aller à une fête », gravé à traits larges et profond, a un corps agrémenté de trois arceaux et d'une rangée de traits verticaux alternant avec des points. Sa queue est très fournie en poils, ainsi que l’encolure et le poitrail. Le musée de Salies possède un moulage.
Pour ce qui concerne les figures géométriques, André Clot est tenté de les mettre à part. Elles lui paraissent plus anciennes, certains auteurs, dit- il, voient dans ces cercles, le thème du culte solaire du néolithique ou de l’Âge de Fer.
Les gravures 55325 : ces dessins étranges gravés sur galet ovale représenteraient sur le recto, très grossièrement, marchant sur la gauche, un homme sans bras, à la tête énorme, presque sans crâne, ornée d’un gros œil au niveau du front et bien formée, d’un nez, d’une bouche et d’un menton. Tête qui s’incline sur un corps au gros phallus un peu tombant. Le verso représente une énorme tête. Et André Clot de conclue : « Notre impression a été que ce galet pourrait fort bien, par sa technique appartenir à l’ensemble de gravures magdaléniennes. »
Plusieurs de ces gravures ont été étudiées par E. Piette dans son ouvrage L’art pendant l’âge du renne. Edition Masson, Paris 1907, 112 pages, 100 lithographies couleur.
(1) Les poissons, les batraciens et les reptiles dans l’art quaternaire, par H. Breuil et R. dd Saint-Périer, édition Masson, Paris 1927.171 p, 76 fig
.
Dans la Grotte Milhas 3
Art pariétal historique: à l'entrée de la grotte et contre la falaise, qui la prolonge à droite, il a été relevé de nombreuses gravures historiques, figuratives (fleur de lys, tête d'équidé, anthropomorphe, « oeil » ,... ) et des invocations mariales (Ave Maria, AVM) que complète l'abréviation I.H.S.[document de gauche] Gravures postérieures aux Apparitions de 1858 ?, ou médiévales ? C'est la cavité la plus grande des trois, appelée aussi Barbe à poux, peut-être du fait de la présence d'un vagabond qui y avait fait sa "tanière" en 1950-60 ? À l'intérieur de la grotte, dates en chiffres romains et dédicaces. [Ainsi que de nombreuses croix protectrices ]
Relevé de ?
Ces gravures se trouvent au-dessus de la borne à droite de la grotte Milhas 3 à hauteur des yeux. Le dessin de droite, se trouve dessous à gauche.
Un nettoyage de la roche s'avère nécessaire pour continuer l'exploration. Nous n'avons pas pu identifier la fleur de lys.
Autres gravures et peinture. La croix bleue se trouve à gauche de Milhas 2.
Croix prophylactique. Photos J. Omnès
Jésus Christ
Au château fort
Deux découvertes récentes : La pierre énigmatique de Lourdes
(1) D’après P. Truchemotte La dorine et les secrets de Lourdes
La pierre énigmatique-Relevé Omnès
Cette pierre a bien une histoire et il s'agit bien d'un Polonais. Voici l'histoire racontée par JF Labourie l'archiviste que m'a envoyé Marion Feugas du Musée : "Le 1er septembre 1858, le Polonais Ignace Czaiewski fait l’ascension à cheval du Pic-du-Midi de Bigorre. Aux abords du sommet, il tombe de sa monture mal sanglée et manque de peu de se tuer en tombant dans le vide.
Pour commémorer cet épisode « miraculeux » et remercier « le Dieu tout puissant », il fait graver une pierre écrite, scellée au sommet du Pic-du-Midi.
Trois ans plus tard, le 7 septembre 1861, le voyageur Adrien Lagrèze-Fossat, lors de son ascension au Pic-du-Midi, transcrit scrupuleusement sur son carnet le texte et la forme de la pierre écrite. Ce document, bien utile aujourd’hui, a été publié en 2001 par Alain Bourneton dans son ouvrage Voyage inédits dans les Pyrénées.
Louis Le Bondidier a publié sur le Bulletin pyrénéen de juin 1924 un article intitulé Pierres écrites. Il indique que depuis plus de dix ans, il s’intéresse à l’épigraphie pyrénéiste et qu’il entend publier les 125 inscriptions sur pierre qu’il a découvertes sur l’ensemble du massif pyrénéen. Toutefois, l’article de juin 1924, ne connaîtra aucune suite.
Toutefois, il est clair que Le Bondidier, intéressé par cet original patrimoine écrit, a tenu à sauvegarder la pierre écrite polonaise en l’intégrant dans la collection du musée, au moment où le sommet du Pic-du-Midi était complètement bouleversé par la construction de l’observatoire.
Vers 2004, Marie-Pierre Barrère découvre la pierre à demi enterrée dans le sol, à une distance de un mètre par rapport au mur nord de la chapelle du château. Elle est brisée sur trois angles, les lettres sont peu lisibles ; trois lignes sont presque effacées."
EN PAYS DES VALLEES DES GAVES
À Arras-en -Lavedan
Les ardoises gravées du Castet Nau, d'Arras -en -Lavedan
La Haute-Bigorre a la chance de posséder l’un des plus riches sites français d’ardoises gravées médiévales. Il s’agit du site du Castet Nau d’Arras- en- Lavedan. Son propriétaire, Jacques Omnès, après plus de 15 ans de travaux de « dévégatalisation » et de déblaiement a récupéré un certain nombre d’ardoises qui constituaient les couvertures de différents bâtiments, du chemin de ronde, donjon, des rigoles d’écoulement des eaux pluviales etc. L’omniprésence de ces ardoises, que leur propriétaire pense provenir de Nouaux (1), a permis durant aux gardes du château, d’avoir sous la main de la matière première pour jouer, durant les temps de pose, à de nombreux jeux dit de plateau. Dans un article du bulletin de la Société d’Etudes des Sept Vallées (SESV) No 46 de 2015, J. Omnès en a fait l’inventaire avec pour une pièce unique, l’interprétation par J-F Le Nail, ancien archiviste du département. Nous y trouvons des fragments ou des plateaux entiers de jeux :
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d’échec à 10 X 10 cases, de dames à 8X8 cases,
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de mérelle, devenu jeu du Moulin après le XVIe siècle. C’est un jeu très ancien et très populaire au XIVe siècle, mais qui fut interdit par l’Eglise catholique, puis, par une ordonnance royale de 1625, tant il entrainait des troubles dus aux querelles entre joueurs,
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de poursuite du lièvre. D’origine arabe, ce jeu serait arrivé dans la région avec l’invasion des maures.
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Et un jeu non identifié, probablement d’origine anglaise, proche du jeu de tâb scandinave.
- A côté de l’usine hydroélectrique Lemonier.
- Ou lédz (s) o : ancienne taxe féodale sur le sol consistant à une « paumade [paume de la main] » par sac de marchandise.
Un lys ? Au-dessous jeu du lièvre.
Texte du placier
À Arrens-Marsous (dans le Val d’Azun)
Au-dessus du Tech, au cuyéous d’eths Ourtiguas (orties ?), sur de grandes dalles de schiste est alignée une série gravée de noms et de dates de 1600 à 1954, encadrant une croix pattée. La gravure de 1600 a été réalisée par Mendaigne, celle de 1954 par Jean Gainza. Entre les deux, près de 35 noms typiquement bigourdans, et prénoms avec date et sans date. Robert Poulot d’Arrens a présenté dans la revue de la SESV de 2002, trois photos où l’on voit ces gravures en relief. Cela parait un peu difficile de creuser ainsi les contours de gravures sur toute la surface environnante ; il s'agit en fait d’une inversion de la photo. Les gravures des bergers étant habituellement en creux.
Cette pierre gravée sur le site pastoral du Hautacam près du lac de Bassas, mérite une explication.
Il ne s’agit nullement d’un évènement qui s‘est passé le 29 -7- 1867, mais le 29 septembre 1867. Il faut remarquer qu’à côté du 7, il y a un petit bre, signifiant qu’il s’agit de septembre. En effet, depuis le XVIe siècle, les montagnards ont pris l’habitude de démarrer l’année en mars, au printemps. Il faut donc lire 7ème mois à partir de mars c’est-à-dire septembre. Cette pratique calendaire a duré plusieurs siècles. Que s’est –il passé à cette date nous l’ignorons. Thérèse Pambrun, spécialiste des pierre de mémoire, évoque entre autres, une éventuelle référence à la Saint-Michel, descente des troupeaux en plaine. Nous n’en savons pas plus. Photo Therèse Pambrun.
Au lieu dit Labassa, qui a peut-être un rapport avec les labasses (grandes dalles de schiste)
Au- dessus du lac d’Estaing à l'Est, se trouvent de nombreuses pétroglyphes sur un grande dalle de schiste ou de gneiss (1) en affleurement en forme de dos de baleine, polie par l'ancien glacier suspendu (15 000-20 000 ans). Il s'agit de gravures réalisés par piquetage (clous ?). Nous sommes dans le cirque pic de Liou / Moun Né (mont de la neige, neigeux)...
Il s’agit de nombreuses figures géométriques, des dizaines, souvent rondes censées parfois représenter le soleil de 30 à 40 cm de diamètre, parfois sans rayon, simple cercle, parfois avec rayons, de cupules (2) rondes ou oblondes. Anciennes traces de culte cosmique véhiculé par nos voisins aragonais souvent présents dans ce secteur ? Difficile à dire.
En bordure de cette grande dalle se trouvent un polissoir et d’anciennes cabanes de berger en pierre sèche, certaines plus récentes protègent encore les occupants temporaire de cette zone pastorale ancienne, proche d’une source. Nous sommes vraisemblablement sur un site de l’âge de bronze.
À côté de ces figures se trouvent également un polissoir. Une analyse de ces trouvailles connues des bergers locaux mais surtout divulguées par J-B Larzabal, maire d’Arcizans–Dessus et amateur d’archéologie, sera prochainement réalisée par la DRAC (3) dans le cadre du Sivom de Labat-de-Bun
(1) Schiste d’après la carte géologique du BRGM (Argelès-Gazost XVI-47). Certains érudits dont Alain Dole pensent à du gneiss.
(2) Petite cuvette creusée de main d’homme : ronde, ovale ou parfois rectangulaire.
(3) Information lors des journées archéologiques de l’Escaladieu en juin 2019 avec Didier Delhoume, conservateur régional de l’archéologie et J-B Larzabal.
Photos Alain Dole, avec nos remerciements
Nombreux "soleils" Ca grimpe, on dépasse une cabane en construction. Photos et informations A. Dole avec nos remerciements
À Ossen
Étonnante pierre en remploi venant probablement d'un des châteaux ruinés du village. Elle se trouve à l'entrée du
village par l'ancienne route, à l'arrière de la falaise du château d'Estibayre. Placée à l'envers. Nous ignorons pour l'instant ce qu'elle représente.Sur le poteau de droite, une date visible avec le soleil rasant : 1574.
Ce qu'en pense J-F Le Nail, ancien archiviste du département, contacté :
"Cette inscription d'Ossen figure depuis longtemps dans mon dossier Epigraphie du Lavedan, ou plutôt elle y dort comme peu utilisable. En effet, incomplète, à moins de retrouver la partie manquante, il est difficile d'en proposer une lecture utile. Elle paraît concerner une oeuvre de construction. Les deux premières lignes pourraient appartenir à une sentence morale, la troisième être la date d'achèvement, la quatrième le nom du propriétaire bâtisseur (Carrère est le nom d'une maison d'Ossen attesté au XIVe s.). Mais de tous ces éléments le début manque et rend la suite hasardeuse. Par ailleurs, dans cette écriture, un même graphisme représente des S et des L, des U et des N, ce qui complique encore les choses.C'est donc avec toutes réserves que je lis, à titre provisoire :
FASAS CAUSA QUE NOS A
ASA QUE DEU FINIR
2 SET DIE 27 JUIN
?ANOLO DE CARRERA"
À Saint-Pé
Grotte de Faiouias (Tute Fayoute)
Il s'agit d’une petite grotte (tutte) servant d’abri à moutons. Elle est située près de la grotte de la Résistance, sur la colline de la Lit à droite, 1 km avant d'arriver à Saint-Pé. Elle domine la RN637 au niveau de l'embranchement du Rieulhès. Elle a servi de repère à un ermite ancien grognard de Napoléon, originaire du village, selon B. Abadie.( localement nommé par l'abbé B. Abadie Fayouye). Coordonnées Lambert 3 : X 398250, Y 3092580, Z 450.
En entrant sur la droite, à la lumière du jour, on peut voir sur la roche, un panneau gravé au burin. Le centre du panneau comprend une dédicace à Napoléon Ier, entouré de croix latines. On peut lire : LA GLOIRE et LONNEUR A se NAPOLEON VIVE NAPOLEON, entouré de croix latines et de deux dates : 1811 et 1818. Ont été ajoutés, les noms de Jean Solité et Cosade et au-dessus Pamphile Abadie.
https://www.youtube.com/watch?v=vOLZtr1Jd2M#t=119
Photo J.M. Poudevigne Relevé Jacques Omnès