Les chemins de la liberté 1936-1945
Historique
Les Pyrénées, de tous les temps on été un lieu de passage, plus qu’une vraie frontière. Lieu de passage avec ses cols ou ports pour les transhumances de l’Aragon vers la Bigorre plus verdoyante, lieu de passage pour les pèlerins se rendant à Saragosse, honorer la Vierge du Pilier, à Compostelle, puis dans les époques plus récentes, en 1936, pour les refugiés de la Retirada, les Républicains et les anciens membres des brigades internationales de la guerre d’Espagne et par la suite entre 1939 et 1945, les réfractaires au STO, aux lois antijuives de Vichy, et les combattants de l’ombre.
1939-1940
À plusieurs reprises lors de tensions internationales, ces passages clandestins potentiels ont été contrôlés plus rigoureiusement. En 1940, par un décret du 9 avril, par hantise d’un encerclement allemand à l’est et espagnol-italien su sud, le préfet des H-P a reçu l’ordre de refuser tout passage dans les deux sens, hors des points de contrôle mentionnés (1). A la hantise de l’encerclement succèdera celle de des « agents ennemis instruits pour perpétrer des sabotages » (2). Tous les passages sont alors fermés (3) Un peloton sur trois demandés est envoyé à Lannemezan pour contrôler les 80 km de frontière. Mais arrivent vite les dérogations, afin de maintenir l’activité touristique des stations de Haute-Bigorre.
1940
Milieu 1940, l’invasion de la France par les Allemands de la Blitzkrieg va entraîner un déferlement de civils sur les routes en direction du Sud de la France. En août 1940, l’armée allemande occupe toute la façade atlantique, les Pyrénées attirent plus que jamais tous ceux qui veulent fuir le pays. Mais la présence inattendue de l’occupant a bouleversé la donne pour l’état major français. Quatre zones de surveillance sont alors organisées à la va vite : les Basses Pyrénées, les Hautes-Pyrénées, l’Ariège et la Haute-Garonne. Mais les instructions qui arrivent, sont sans cesse contradictoires, elles suivent les méandres diplomatiques entre l’Espagne de Franco et la France de Vichy. « Relations entre indécision, méfiance et compromis (4) » L’obtention des papiers obligatoires pour passer d’un pays à l’autre n’est pas toujours le meilleur viatique. Acceptés d’un côté ils sont parfois refusés de l’autre. Les protagonistes se trouvent, soit refoulés, soit ont une amende, soit sont emprisonnés. Thomas Ferrer dans son ouvrage Passeurs et évadés dans les Pyrénées site plusieurs cas page 23 et 24 : Walter Benjamin Hannah Arendt et Arthur Koestler qui réussissent à émigrer, mais après certaines interventions.
1941
L’étau se resserre en avril, les Français âgés de 17 à 40 as ne peuvent plus sortir du territoire (5) Il faut éviter une hémorragie de jeunes qui partent pour l’Angleterre. Les Israélites sont condamné à ne pas sortir de leur périmètre de « libre circulation », entendez la commune de leur résidence
1942
Le grand tournant. La loi de dénaturalisation de juillet 1940 est appliquée en juin 42 dans les Hautes-Pyrénées. Il s’agit de réexaminer les naturalisations de 1927 quand la France avait besoin de main-d’œuvre : 15 000 étrangers italiens, espagnols et polonais seront dénaturalisés. Parmi eux 50 % sont Juifs. Lire Dénaturalisés –Les retraits de nationalité sous Vichy, de Claire Zalc, édition du Seuil, 216. Les candidats au départ augmentent. Puis, suite à la suppression de la zone Sud en réaction au débarquement américain en Afrique du Nord, les ressortissants britanniques et américains même munis de passeport diplomatique sont interdits de sortie du pays,
par ordre reçu à la préfecture le 9 novembre.
La fermeture de la frontière. Les allemands, dès le 11 novembre 1942, installent leurs troupes et réorganisent la surveillance de la frontière. Ainsi une garnison de 350 hommes est installée à Tarbes au quartier Larrey, une autre à Lourdes au château fort. La gestapo (Sicherheitspolizei) prend ses quartiers à l’hôtel Family à Tarbes, Beauséjour à Lourdes et à la villa Marisol à Argelès (6). Des soldats surtout autrichiens aguerris aux difficultés de la montagne, viennent doubler les gendarmes et douaniers français. Leurs points de chute dans notre région seront : Luz, Gèdre, Cauterets et Arrens. Leur commandement sera basé à Lourdes. Thomas Ferrer dans Passeurs et évadés dans les H-P évalue page 35, à 180 hommes présents en Hautes-Pyrénées.
1943
Les Allemands plus rigides, trouvent les délimitations de la frontière trop floues et désirent une application plus stricte des applications des règles de domiciliation et de circulations. Ils inventent des restrictions non inscrites. Ce qui pose une certaine incompréhension des autorités françaises, pour ne pas dire désapprobation sur certains cas. Le préfet rené Le Gentil monte au créneau en demandant que toute arrestation d’individu français lui soit signalée et avec les circonstances de celle-ci. (7). Il est appuyé dans ses démarches par le commandant de gendarmerie Briot, dans la vallée d’Aure et l’ingénieur en chef des ponts et chaussées de Pierrefitte qui s’étonnent des débordements de l’occupant. En réaction, les Allemands dénoncent le peu d’entrain des gendarmes et douaniers français et multiplient les contrôles.
(1) ADHP23W64
(2) Passeurs et évadés dans les Pyrénées de Thomas Ferrer, Cairn, 2018, pages 17-18
(3) Ibid
(4) page 24
(5) ADHP 14W 64
(6) À l’emplacement de la station Total
(7) ADHP 20W34
Les candidats à l'évasion
Les Belges
Dès juin 1940, les Belges, suite à l’invasion de leur pays par les troupes allemandes furent les premiers réfugiés à venir dans le département et principalement à Lourdes. Ce choix venait du fait de sa capacité hôtelière et de la création d’un centre d’accueil, par le préfet Léon Gonzalve La gestion de ce centre était organisée par le comte de Beauchamp. Ce dernier, contrôlait également, de par la demande de Vichy, les jeunes Belges susceptibles de combattre, après avoir franchi clandestinement les Pyrénées. Mais la situation était très complexe pour les autorités locales. En renvoyant les jeunes dans leur pays ils risquaient de dénoncer aux Allemands, certains compatriotes désireux de se rendre à Londres, ou prêt à donner des informations aux Allemands sur les passages et passeurs clandestins de la frontière (1) Le commissaire de Lourdes, Jean Philippe fera tout pour sa rapprocher du réseau belge Sabot et français Alliance afin de sauver le maximum de candidats à l’évasion, belges et juifs. Il sera arrêté par la Gestapo et incarcéré à Karlsrhue. Il sera exécuté en 1944. (2)
Thomas Ferrer à la lumière de nombreux documents, nous rappelle dans son ouvrage (1) pages 46 et 47, l’action héroïque du Commissaire Philippe et la création d’un réseau belge d’évasion à partir de la Wallonie, financé par un industriel Liégeois et organisé par les dominicains. Lourdes sera leur point d’arrivée à l’hôtel de la Coupole avec la réception du lieutenant belge Chartier. Un second réseau d’évasion découvert plus tardivement, appelé Comité de Tourcoing organisait aussi l’évasion de jeunes belges via Lourdes. Ils étaient reçu par un journaliste wallon, membre du réseau Luc (3), Louis Lambert, installé route de Pau, à la villa Ensoleillée (3), devenue 24, rue de Pau, Villa Sainte Philomène. La cité de Lourdes était devenue sans le savoir, grâce aux cloisonnements entre les différentes organisations, le carrefour des chemins d’évasion pour l’Espagne. Plusieurs réseaux indépendants (5) s’y activaient, avec la complicité passive de l’administration, souvent peu regardante sur leurs activités et sur l’organisation du réseau local Andalousie de Gérard de Clarens.
Au total, entre 1940 et 1944, le nombre de Belges qui franchirent les Pyrénées est estimé entre 1500 et 2000, dont plusieurs dizaines par le département des Hautes-Pyrénées (6)
(1) Passeurs et évadés dans le Pyrénées de Thomas Ferrer, édition Cairn. Page 45
(2)ibid
(3) Emilienne Eychenne Pyrénées de la liberté, p.118
(4) Passeurs et évadés dans les Pyrénées de Thomas Ferrer, édition Cairn, page 49
(5) Comité de Tourcoing, Luc, Andalousie, Mécano
(6) Emilienne Eychenne, Pyrénées de la liberté, p.121.
Villa l'Ensoleillée devenue Villa Sainte Philomène au 24 rue de Pau
Comte de Beauchamp, pierre tombale au cimetière de l'Egalitté
Hôtel La Coupole modernisé
Les Polonais
Dès l’invasion de la Pologne en 1939 par les troupes allemandes, nombreux furent ses habitant décidés à venir se réfugier en France pour fuir le nazisme, pour combattre ou pour continuer leur voyage vers les USA via l’Espagne et le Portugal. . Si des milliers purent rejoindre l’Angleterre, lors du blocus de Dunkerque (0), d’autres se dirigèrent vers le sud de la France, d’abord à Angers où s’était installé le gouvernement provisoire polonais, puis vers les Pyrénées.
La recherche de documents : permis de séjour, faux papiers ou visa de sortie du territoire devenait le travail essentiel de tous ces déracinés, qui en plus de leur situation précaire, se trouvaient devant la barrière de la langue. Bordeaux, Bayonne le Pays Basque puis les Hautes-Pyrénées semblaient le circuit le plus commun pour ceux qui n’avaient pu traverser la frontière au Pays basque. A Tarbes, l’hôtel Massey était un lieu de ralliement puis Lourdes, parfois Cauterets. A Lourdes, ils pouvaient obtenir en toute discrétion, de faux documents officiels. Ceux-ci émanaient de Gabriel Hemlbolt membre de la croix rouge, chef de service à la présidence du Conseil polonais de France (1). Il résidait à l’hôtel Corona, rue du Calvaire. Le nombre de papiers falsifiés qui circulaient était si important que cela ému le préfet Léon Gonzalve. Cet état de fait, attractif auprès de la colonie polonaise déjà nombreuse, pouvait nuire aux réfugiés français. Aussi beaucoup furent encouragés à grossir les rangs des groupements de travailleurs étrangers (G.T.E.).
L’attraction de Lourdes, non seulement à cause de la frontière proche, mais aussi de la présence de nombreux catholiques, se multiplia lors de la venue et du séjour du cardinal August Hlond dans la cité mariale. A cela s’ajoutait t’existence du réseau Wisigoth-Lorraine animé par un religieux, l’abbé Wel, réfugié Alsacien-Lorrain, avec un comte polonais, Wysygota-Zabreswski évadé d’un train de la mort (2). August Hlond sera arrêté par la Gestapo en février 1944 et envoyé à Wiedenbruck. Il sera libéré en avril 1945.
Le nombre important de ressortissants polonais présents dans la région eut pour conséquence un certain nombre d’échecs de passage de la frontière, ce qui se traduisait par un passage devant les tribunaux. Ceux-ci ne manquaient pas d’être dénoncés par les journaux locaux avec une pointe de xénophobie. Cela donnait indirectement à la population des informations sur cette colonie et ses activités. Condamnés à un mois de prison et une amende que le jeunes pris, ne pouvaient pas payer, ils étaient engagés d’office au GTE
Emilienne Eychenne estime le nombre de passage à travers la chaîne des Pyrénées à 500.
Faux papiers coll. privée d'Olivier de Clarens
(0) Voir le film Dunkerque
(1) ADHP 20W27
(2) Emilienne Eychenne Pyrénées de la liberté, p 12
(3 ) Ibid p.124
Les juifs
Ces derniers, furent les principaux candidats à l’évasion, avec les réfractaires au STO.. Dès les lois anti juives promulguées en Autriche et en Allemagne, ce fut une errance à travers l’Europe pour nombre de familles voulant échapper aux pogroms qui s’annonçaient. La France dans le giron allemand n’hésita pas, dès l’été 1940 à faire voter nombre de textes législatifs afin de supprimer toute citoyenneté tant aux juifs étrangers qu’aux juifs français. Près de 200 personnes concernées dans notre département entre 1940 et 1942 (1)
Les ordonnances allemandes s’appliquèrent dans la zone non occupée dès sa suppression en 1942. Ce fut successivement : l’inventaire des commerces juifs, l‘obligation de la mention juif sur les papiers, la dénaturalisation qui s’appliquait à tout étranger avec l’exclusion dans de nombreuses administrations et d’activités professionnelle, (22 juillet 1940), le statut des juifs (3 octobre 1940) l’internement administratif (4 octobre 1940), le nouveau statut des juifs (2 juin 1941) La loi d’aryanisation (22 juillet 1941).
En septembre 1941 vu l’afflux de personnes juives dans la ville de Tarbes, le préfet Le Gentil de peur d’être débordé, demanda à la délégation spéciale de Lourdes (municipalité) de recevoir des « Israélites ». La réponse fut immédiate et lacunaire lors diu conseil municipal du 11 septembre 1941 : « La présence à Lourdes d’israélites étrangers ou non est jugée comme indésirable. » (2)
Dès la fin la zone spéciale en juillet 1942, le havre de paix relatif, qu’était cette zone non occupée où le port de l’étoile n’était pas obligatoire fut vite balayé. Les arrestations, sous couvert de situations administratives illicites concernant des défauts de carte d’identité d’étranger, de visa ou de sauf conduit (1942) se multiplièrent.
Afin de limiter les désirs de fuite vers l’Espagne, conséquences de tous ces acharnements sur les juifs, visant à « supprimer toute vie sociale d’une population jugée défavorable, voire nuisible au redressement national voulu par Vichy », une règlementation de contraintes de circulation fut instaurée (3). Une zone interdite aux étrangers « Zone Pyrénées » fut promulguée.
Zone réservée des Pyrénées, musée de la Déportation de Tarbes. Photo J. Omnès
Dans une ambiance de xénophobie et d’hostilité alimentée par la presse, le préfet Le Gentil reçoit l’ordre le 6 août 1942, d’arrêter toute personne juive arrivée sur le territoire français après 1936. Ce sera le début des déportations vers le camp béarnais de Gurs. Dès 1942, point culminant des évasions clandestines vers l’Espagne, il fallut mettre en place des réseaux d’évasions vers la frontière. Ces évasions se faisaient souvent en famille, ce qui alourdissait les difficultés et nécessitait une organisation connaissant le terrain et les lieux de passage et une logistique côté espagnol. Les évasions en solitaire étaient souvent vouées à l’échec. Thomas Ferrer dans son ouvrage, page 69, évoque le cas de Wilhelm Rothschild à Arreau.
Malgré le refus de recevoir des juifs tant français qu’étrangers à la demande du Préfet, la délégation spéciale de Lourdes, ne put s’opposer à la venue individuelle de réfugiés juifs. Les nombreux hôtels où il était difficile de les distinguer, des autres réfugiés forts nombreux, furent les premiers abris. Après 1942, ceux qui étaient en situation irrégulière devaient se terrer tant bien que mal dans les familles locales en attendant des jours meilleurs ou un départ pour l’Espagne. Il est courant de citer, parmi les noms les plus célèbres
Stanilaw Bender lithographe, peintre d’origine polonaise fuyant dès 1930, le régime nazi, il se retrouva en 1940 à Lourdes avec sa fille Marylka. Grace à des solidarités locales ils échappèrent à une rafle en 1942 D’après Stéphane Baumont dans le livre Lourdes de chez Privat 1992 page 276, il se serait converti et fait baptiser à Lourdes. Il a offert comme ex voto, la fresque de l’Extase de Bernadette de l’église paroissiale.
Elle se trouve dans la chapelle de gauche.
Franz Werfel de Prague avec sa femme Alma Malher de Vienne. En 1938, le couple fuyant les troupes allemandes, se réfugia à Lourdes. Franz fit le vœu d'écrire un livre sur Bernadette s'il était sauvé. Après la traversée des Pyrénées avec Heinrich Mann et Golo Mann, frère et fils de Thomas Mann, le couple arriva au Portugal d'où il émigra aux États-Unis. Conformément à son vœu, il écrivit The song of Bernadette (Le Chant de Bernadette). Publié en 1942, le roman remporta un immense succès. En 1943, il sera adapté au cinéma par Henry King.
Pierre Birnbaun devenu écrivain sociologue, professeur à la Sorbonne et à l’IEP de Paris. De parents juifs polonais venus se réfugier en France, il vécut à Omex près de Lourdes durant ses premières années d’existence, en 1940, caché avec sa sœur, par des locaux. Il est l’auteur, entre autres, de La leçon de Vichy qu’il est venu présenter aux gens du village, en novembre 2019.
Certains réfugiés seraient-ils restés dans la cité mariale ou aux alentours, passant à travers tous les filets des administrations françaises et allemandes nous l’ignorons
Ce que nous savons c’est que dans les Hautes-Pyrénées les rafles et les déportations ont concerné de 1940 à 1945 : 749 déportés dont 514 n’en sont jamais revenus, à cela s’ajoutent 604 internés (4)
(1) Passeurs et évadés dans les Pyrénées de Thomas Ferrer, édition Cairn, p.63
(2) Archives de la ville de Lourdes 16/09/1941.
(3) avec interdiction de sortie de la commune de résidence. Ibid p 66
(4) Chiffres du musée de la déportation de Tarbes
Les réfractaires au STO-Les candidats à la poursuite du combat
Ces personnes ont fourni le gros du contingent des évadés vers l’Espagne via les Pyrénées.
D’après Thomas Ferrer, entre 1940 et 1944, 30 à 35 000 personnes auraient fui le pays dont 20 à 25 000 pour continuer le combat (1). 80 % auraient eu lieu durant l’année en 1943 après l’annonce du STO.
Auparavant, le gouvernement conscient des réactions négatives au nouvel ordre appelé Révolution nationale, imagina, afin de canaliser tout ferment de contestation, dès juillet 1940, la création de chantiers de jeunesse ?. Ils furent affectés à des travaux d’intérêts généraux, agricoles et forestiers. Et ce, sous la direction du général Joseph de la Porte du Theil. Ces camps, au nombre d’une quarantaine en zone libre, étaient sur le plan administratif, numérotés.
C’est ainsi que fut créé à Argelès-Gazost en août 1940, le groupe Mermoz 38, avec occupation de la villa Artalens pour le secrétariat et le terrain en face pour les baraquements. Le nom Mermoz venait du fait de la présence de nombreux cadres de l’armée de l’air.
À Saint-Pé ce fut le groupe Foch, avec le numéro 30. Ses camps de type militaire furent installés aux extérieurs du village au Mousqué, près de la ferme Mourrichi en lisière de la forêt de Subercarrère. Au-dessus de la ferme Mourrichi, près du gouffre de Castet restent encore tous les soubassements des implantations des baraquements dont un présente encore une cheminée. Ses jeunes furent à l’origine de nombreux travaux dont des plantations au Mousqué, le nettoyage du village et un imposant four à chaux sur le chemin du monastère Bethléem.
Ces chantiers deviennent obligatoires en janvier 1941. Durant une durée de huit mois, ils sont censés par la discipline et le goût du travail, apporter un redressement moral au pays en pleine déliquescence.
En juin 1942, suite à un accord entre Pierre Laval et Fritz Sauckel est créée la Relève. Celle-ci consiste à remplacer les prisonniers français par des volontaires dans la proportion de 3 pour 1. Ainsi 50 000 prisonniers devaient être remplacés par 150 000 ouvriers spécialisés Suite à l’échec de l’opération (seul 60 000 travailleurs se présenteront), plusieurs lois furent imposées par Sauckel pour arriver le 16 février 1943 au tristement célèbre STO Service du travail obligatoire, mobilisant tous les jeunes nés entre 1920 et 1922 pour aller travailler en Allemagne.
Les camps de jeunesse avaient formés indirectement des candidats aux départs. Conscient de ce fait, les autorités allemandes déplacèrent en Corrèze, le groupement 30, jugé trop proche de la frontière (2). Le STO sera le grand révélateur national et non plus local du désir de fuir le pays, accentué par la vision négative des rafles et l’imposition du rationnement.
Pour échapper au STO plusieurs possibilités se présentaient aux réfractaires ; soit trouver du travail dans une entreprise stratégique, soit se réfugier dans une région amie, soit se faire un faux certificat médical ou de faux papiers, ou rejoindre les réseaux résistants avec, pour ceux qui veulent continuer le combat à l’étranger, traverser la frontière (1).
Plus nombreux et plus formés aux longues marches, ils partaient souvent seuls. Ceux qui ne connaissaient pas la région, faisaient appel, soit à des passeurs professionnels, souvent des montagnards aguerris, soit des groupes de résistants.
(1) Passeurs et évadés dans les Pyrénées édition Cairn ; p. 70 et p. 74
(2) L’histoire de Saint-Pé-de-Bigorre par Pierre Pomès, Société académique des Hautes-Pyrénées, 1987, p. 222
Villa Artalens à Argelès-Gazost et sa plaque commémorative
Groupe de Saint-Pé (Photo Aain Dole) Le four à chaux
Lire Les chantiers de la Jeunesse (1940-1944, une expérience de service civil obligatoire de Christophe Pécout, Agoradébats/jeunesse 2008, n° 47, p. 26.
Les Chemins de l'évasion
La traversée de la frontière des Pyrénées de tous ces volontaires pour des raisons diverses : fuir la gestapo, rejoindre des réseaux, partir combattre à partir de l’Afrique du Nord ou de l’Angleterre était une épreuve plus ou moins difficile, en fonction de la présence ou non de passeurs aguerris.
Les passages à l’est (Catalogne) et à l’ouest (Pays Basque) de la chaîne étaient bien plus aisés, mais très contrôlés. Les passages par les Pyrénées centrales, dont les Hautes-Pyrénées était moins surveillés mais bien pus ardus. Les sentiers n’étaient pas balisés, il fallait faire face à de nombreux obstacles la marche de nuit, les rochers escarpés, le froid, la neige, le vent, la traversée des ruisseau et torrents.
Les candidats solitaires étaient surtout ceux de la région. Souvent jeunes, Ils pensaient bien connaître les difficultés en montagne et les itinéraires à prendre. Ils furent aidés dans leur démarche par la sortie du nouveau guide Ledormeur (1941), où tous les refuges et sentiers étaient méticuleusement décrits. Le trajet ne se faisait pas sans danger. Ceux qui réussissaient à atteindre l’Espagne furent récupérés par les carabiniers et internés, le temps de vérification, à Barbastro, au couvent de las Capuchinas alias Casablanca. Les moins chanceux partaient au campdit de concentration, de Miranda del Ebro. De Barbastro, il rejoignait parfois avec l’aide des autorités espagnoles, Madrid via Saragosse. A Madrid les attendait un service d’accueil des plus étonnants : français de Giraud, de De Gaule, de Vichy, anglais de Churchill
Celui de Giraud, parrainé par les Américains, envoyait le candidat combattre en Afrique, celui de De Gaulle appuyé par les Anglais envoyait le candidat dans les FFL, par l’intermédiaire de Monseigneur Boyer Mas, représentant non officiel du mouvement gaulliste après l’avoir été du mouvement giraudiste. Vichy avec son ambassadeur François Pieri, leur offrait un retour au pays. « dans de bonnes conditions ». (1). Ces forces libres françaises fusionneront par la suite sous la direction de Ch De Gaulle Quand à Churchill avec son IS (Intelligence service puis son SOE (Special Opérations Excecutive), l’objectif était la chasse aux renseignements.
Les départs pour l’Afrique du Nord se faisaient par Malaga, puis par Algesiras et Gibraltar sous l’œil attentif du général Franco resté neutre dans le conflit, mais pressé par les alliés.
Les départs pour l’Afrique noire ou les USA se faisaient surtout à partir de Lisbonne, suite à un accord entre les Anglo-saxons avec le dirigeant portugais Salazar en mars 1943.
(1) Passeurs et évadés dans les Pyrénées de Thomas Ferrer, édition Cairn, p.83.
Le couvent de las Capuchinas, historique :
https://rondasomontano.com/revista/110616/el-convento-de-las-capuchinas-la-casablanca-en-barbastro-de-la-ii-guerra-mundial/
Les réseaux organisés
De nombreux réseaux plus ou moins structurés, sans liens apparents entre eux afin de minimiser les risques, prirent naissance dans la région. Ce furent essentiellement :
Le réseau Hèches dès 1940, dirigé par le Tarbais Gaston Hèches, pour le compte de l’IS des Britanniques (1). Il était essentiellement axé sur l’évacuation des agents secrets britanniques, des espions français travaillant pour l’IS et des pilotes aux avions descendus par la Luftwaffe. Il mettait en réseau de contacts, une quinzaine de villes, essentiellement du Sud. Le restaurant de Gaston H., situé au centre de Tarbes et les maisons de ses amis, Jean-Louis Verdoux et Jean-Louis Maupeyra de Bordères servaient également de lieux d’hébergement. Avec en prolongement l’hôpital de Tarbes. Ces sites hébergeaient parfois des familles juives.
Le réseau Sarrazin-Base Espagne. Réseau très local de Haute-Bigorre créé par Gérard de Clarens (Claverie) d’Ayros-Arbouix et ses amis Remi Lohse d’Argelès-Gazost, ancien camarade du collège Stanislas à Paris et Christian Deschars, également ancien camarade de ce collège. Le père de Christian était administrateur d’Air Liquide (2). L’objectif était de faite passer la frontière à tous les candidats à la poursuite du combat derrière l’amiral Darlan en Afrique ou le général Giraud à Londres (3). Avant d’être opérationnel, Claverie et ses amis tissèrent un réseau de connaissances, de sentiers, de savoir-faire comme des faux papiers, des faux tampons, des moyens de financement. C’est ainsi que nous retrouvons, gravitant autour de Claverie, des connaisseurs de la montagne comme Jean Trescazes de Gavarnie, Laurent Arrouy, Bernard Pujos-Perissère, Georges Adagas de Gavarnie, Edouard et Marc Culouscou et Abel Nogé de Gèdre, Denis Lohse d’Argelès-Gazost, Jacques Carlier et bien d’autres. Le réseau comptait 36 membres permanents, 40 occasionnels, d’après pédagogie.ac-toulouse sur Google
Juillet 1943 : le réseau est pret pour faire passer le premier évadé. Thomas Ferrer dans son livre, indique le trajet : arrivé par train de nuit à Lourdes, l’évadé « le colis » passe par l’un des trois points marqués sur le plan ci-dessous : l’hôtel de l’Océan, avenue Maransin, de la famille Trescazes de Gavarnie, l’hôtel Lapeyre, rue de la Tour de Brie (4) et le magasin au Vatican (5). Le trajet jusqu’à Argelès se faisait à bicyclette, coucher dans la cité, puis départ pour Trimbareilles près de Gèdre. A la nuit tombée, marche vers la frontière jusqu’à port de Pinède à 2400 m. Parfois, était utilisé le port de la Bernatoire ou le col des Espécières. L’arraisonnement de groupes par les carabiniers espagnols se terminait à la prison de Barbastro au Couvent de las Capuchinas. Leur libération se faisait par l‘intermédiaire de la Croix rouge et parfois le versement d’une caution par l‘Air Liquide (6). C’est ainsi que le réseau fit passer la frontière à plus de 330 personnes, chiffre de Thomas Ferrer.
Le réseau Andalousie. Ce réseau s’est constitué début 1944, sur les débris de la Confrérie Notre Dame du colonel Rémy (Gilbert Renault), réseau national qui subit de nombreuses arrestations en 1942 et 1943 et un démantèlement important surtout dans le Sud (région de Toulouse). Ce qui poussa un dénommé François Bistos, alias Franck à créer un nouveau réseau avec Gérard de Clarens alias Claverie, connaisseur de tous les passages transpyrénéens (7). Après un voyage plein d’embuches à Madrid puis à Londres avec Claverie. Les deux hommes organisent le réseau avec deux postes de commandement : à Toulouse et près de Samatan dans le Gers. Ils l’avaient doté d’une « structure ample, complexe et la plus cloisonnée possible, par crainte d’un nouveau démantèlement comme ils l’ont connu avec la Confrérie » (8). La plupart des passages se faisaient par Gavarnie
Bien que le cloisonnement fût la première nécessité de ces réseaux, cela n’empêchait pas dans les niveaux supérieurs, la présence de nombreuses connectivités. Ainsi Vergez de l’hôtel de la Grotte à Gèdre, membre d’Andalousie n’hésitait pas à aider les convois de Hèches, comme les cousins Vignoles de Barège du réseau Hèches, d’aider Gérard de Clarens (Claverie) quand cela s’avérait nécessaire.
Villa Monjoie de la famille Lohse, Argelès-Gazost
Les autres réseaux (dont 6 se trouvaient à Lourdes) et mouvement locaux d’aide aux candidats à l’évasion, s’appelaient :
Hilaire créé en novembre 1942 par Georges Starr, officier britannique. Il est axé sur la réception et l’hébergement des agents londoniens,
Alliance, très présent à Lourdes et dans le Béarn est axé sur les passages clandestins de la frontière avec les capitaines J. Dane et Romain Célestin avec la mise à disposition pour les candidats à l’évasion, de l’hôtel Gallia- Londres, jusqu’à la fin de 1942 (9),
Martial, émanation du BCRA (Bureau central de renseignement et d’action) du colonel Passy a été créée à Lourdes en 1943, par le colonel Teyssier d’Orfeuil assisté par le colonel Bernard. En relation avec la DGSS (Direction générale des Services spéciaux) il était chargé de faire passer en Espagne le maximum de volontaires
Kasanga créé en mai 1942. Ce service de renseignements était dirigé par Jean Cénac, Louis Bacqué et Jean Gaits
Mecano avec Madame Martinet, le commandant Lartiigue de Vic, Dalloz…
Pernod et bien d’autres, énumérés dans les archives privées de Claverie.
À ces réseaux d’évasion on peut rajouter ceux des résistants locaux, qui à l’occasion aidaient aux passages des réfugiés comme le mouvement Combat de Lourdes, né en décembre 1941, avec Célestin Romain qui forme l’armée secrète du corps francs Puyau (10), Jacques Dhont, Pierre Dumas, le docteur Marcel Marquié de Sarrancolin (membre de plusieurs réseaux), Roland Cazenave. Ou des particuliers, comme Henriette Collongue, Alice Carrazé, Marcel Billières, directeur de l’hôpital de Tarbes avec ses salles des contagieux, l’abbé Samaran, curé d’Estaing ou Marie Léonie Desbiaux et sa pension de famille, rue de Langelle à Lourdes. C’est chez elle, qu’a eu lieue la rencontre de Claverie avec le dénommé Montagne qui n’était autre que le colonel Teyssier d’Orfeuil, alias Martial. C’est lui qui signera après le sous-préfet et avant le capitaine Auzon, la reddition officielle des Allemands à Lourdes, le 19 août 1944 (11).
(1) Intelligence Service
(2) Passeurs et évadés dans les Pyrénées, de Thomas Ferrer, édition Cairn, 2018 ibid p101
(3) D’après Olivier de Clarens courriel du 5 juin 2021
(4) On peut noter que se trouvait en face, à la villa l’Ensoleillée, rue de Pau, Louis Lambert du réseau belge Luc, chargé du passage à la frontière de ses compatriotes.
(5) On peut penser qu’il s’agit du magasin de l’hôtel au Vatican, rue de la Grotte face aux Clarisses.
(6) Passeurs et évadés dans les Pyrénées, de Thomas Ferrer, édition Cairn, 2018 ibid 101
(7) ibid p 98. Mentionné 40 passages. En fait il a fait 37passages
(8) ibid p100-102
(9) Réquisitionné par les Allemands
(10) Il sera remplacé après sa déportation par Honoré Auzon capitaine Léon.
(11) Les Hautes-Pyrénées dans la guerre de Jose Cubero, édition Cairn.
Hôtels Lapeyre et de l'Océan
Villa Desbiaux Lourdes, rue de Langelle
Villa Desbiaux
Carte annotée par Gerard de Clarens avec les differents passages. ADHP 136/18