Dans les villages sans confrérie, les obsèques fonctionnaient par la participation des villageois organisés sous forme de compagnies ou dizaines. Chaque « maison » choisissait un membre de la famille ; ceux-ci se regroupaient par unité de dix membres. Chaque unité avait un rôle particulier dans le déroulement de la cérémonie. Les femmes étaient chargées de la toilette mortuaire, les hommes du creusement de la tombe. Nous apprenons grâce à Monsieur C. Parrou (1) qu’à Sireix où se tenaient quatre compagnies, le règlement interdisait à leurs membres de manger et de boire dans la maison du défunt. Certains avaient dû, pense-t-on, prendre la fâcheuse habitude de s’offrir un repas. Seule la parenté et les voisins se voyaient offrir après les obsèques un repas sans viande, ni vin rouge. Il était préparé par les anciennes de la maison aidées des voisines. Les membres des dizaines, du moins les hommes, prenaient alors l’habitude d’aller au bistrot avant de repartir chez eux.
Corbillard (Nestalas). Photo J. Omnès
Entrée des veuves et veufs à l'église d'Omex.
Les cires de deuil ou tracines
Les cires de deuil, candelous, tracines à Bagnères de Bigorre, stere ou stera en vallée de Barège, ou tren (de trena= tresse en espagnol pour le val d'Azun.
C’étaient de fines cordelettes de lin enrobées de cire vierge et enroulées sous des formes différentes, atteignant parfois la beauté d’une œuvre d’art (surtout en Pays basque). Chaque maison en possédait, car elles étaient censées protéger le foyer de la foudre et autres calamités. Fabriquées fin janvier, par chaque famille ou par un artisan, elles devaient être bénies à la Chandeleur.
Pendant la cérémonie de l’enterrement, les chandelles des amis, et des familles des défunts étaient posées au sol sur une serviette blanche, autour du cercueil. Celle de la famille du décédé était placée par la première voisine sur la chaise de la famille, puis portée au cimetière et allumée durant toute la cérémonie, puis était ramenée à la maison. Seules les femmes entouraient le cercueil, les hommes assistaient à la cérémonie dans les tribunes.
Après l’enterrement, durant un ou deux ans, les familles des défunts portaient leur cire à l’église chaque dimanche. Afin de les distinguer, chaque famille entourait son candelou de ruban noir disposé de manière différente. Le port des candelous était réservé aux femmes.
À la Toussaint, les enfants plaçaient des morceaux du candelou familial allumé sur le rebord des tombes familiales. Lors des quêtes, dans certains villages, les plus pauvres déposaient un morceau de candelou dans le plateau.
Comme indiqué plus haut, il était attribué au candelou un pouvoir protecteur, aussi à de nombreuses occasions, on allumait le candelou, le soir avant de se coucher, près du lit d’une agonisante, d’une femme en couche, lors d’épidémie, d’orage, de foudre, geste souvent complété de récitations de prières.
Le lourquet (voir photo) lui, se fixait à la croix processionnelle et était offert au curé qui s'en servait pour allumer les bougies de l'église.
Pour les fabriquer, on faisait passer une cordelette dans un bain de cire chauffée, plus ou moins liquide. Une fois refroidie et collée à la cordelette cette dernière était introduite dans un fileur qui donnait le diamètre voulu, Puis elle était enroulée sur un rouleau de bois. Voir photo ci-dessous de la machine à cires.
Machine à cire. Musée Salies de Bagnères-de-Bigorre. Photo J. Omnès
Le musée pyrénéen de Lourdes possède une collection importante de cires de deuil, dont malheureusement la grande majorité se trouve dans les archives. Son ancienne conservatrice, Margalide Le Bondidier a rédigé un ouvrage assez complet sur le sujet et couvrant une partie du Sud-Ouest.
Candèle Parilla basque Lourquet bigourdan. Cliché musée des Pyrénées
Veuves en Espagne au bord de leur candelou. Photo Margalide Le Bondidier
Au cimetière
Les parents et amis du défunt étaient entourés de leurs voisins. Lors de la mise en bière, il était fréquent que les femmes poussent des cris de détresse et de désespoir. Ce genre de manifestation avait déplu au chroniqueur J-M-J Deville, qui en 1818, remarquait « À quoi bon, par exemple ces lugubres hurlements que font certaines femmes, et qui troublent le silence respectueux qui doit présider à ces sombres demeures ? » Pour lui une couronne de fleurs aurait dû être suffisante. Sa désapprobation fut à son comble quand il vit que les organisateurs payaient des pleureuses professionnelles pour accompagner les convois funèbres. Pour lui cette « manie paraissait indigne du caractère bigourdan, opposé à la nature, insultante pour l’humanité. » Elles entonnaient des complaintes funèbres, poussaient des sanglots et célébraient les louanges du défunt, parfois se prosternaient face contre terre. Certaines étaient célèbres, comme Marie Asserquet dite Marie Blanque de la vallée d’Aspe voisine. Ses mélopées ou aürosts plus ou moins chantées et improvisées étaient célèbres. Ces manifestations étaient bien ancrées dans les usages locaux, quoi qu’en pensait Deville. Leur origine est probablement romaine (les noeniae) mais sûrement arabo-berbère. Ces aroustayrès (aurostères) étaient également appelées chouettes sarrasines. Il faut dire que le clergé local surtout celui de Saint-Savin, n'appréciait pas trop ces manifestations de survivances païennes.
Avant la création des cimetières. Petit résumé historique des pierres tombales :
À l’instauration du christianisme vers le Xe siècle, les premières pierres tombales sans inscription, ni date se trouvaient à l’intérieur des églises. La famille omniprésente connaissait l’emplacement du défunt. Nul besoin d’y graver un nom et encore moins une date « le mort est entrée dans l’éternité, cela suffit » (1). Cette coutume d'enterrer les morts à l'intérieur des églises sans cercueil, les générations successives se superposant perdura jusqu'au XVIIIe siècle (ordonnance royale de 1776). Ce droit de sépultures des familles du village était associé au droit de s'agenouiller. L'endroit où les familles pouvaient prier, allumer leur cires de deuils (candélous), communiquer avec leurs défunts était délimité par l'emplacement de la dalle familiale. Ce "droit d'agenouilloir" était généralement inclus dans les actes notariés de vente de la case (maison).
Les prêtres étaient enterrés dans l’allée centrale de la nef. N’ayant pas d’assistant-témoins ou de liens familiaux avec le village, un signe distinctif devait rappeler leur mémoire, d’où la présence de certaines inscriptions et dessins gravés comme un calice, une croix, le monogramme du Christ. Les « errants » bohémiens, ouvriers agricoles, les sans attaches avec une maison-foyer du village se voyaient relégués à l’extérieur de l’église, sous le porche. Pour distinguer leurs pierres tombales, des inscriptions s’avéraient nécessaires. Par la suite, avec l’évolution démographique, les pierres tombales émigrèrent dans l’enclos de l’église qui reçut alors toutes les personnes décédées dans le village avec ou sans attache familiale. Afin de distinguer les défunts et leur appartenance à un « clan », à un métier, la pierre tombale fut vite surmontée d’une pierre verticale sur laquelle étaient gravés le nom, la date de naissance et de décès du défunt et parfois des instruments de son métier : marteaux, ciseaux, fils à plomb… L'enclos du cimetière et l'église attenante étaient des lieux sacrés, toute effusion de sang nécessitait leur fermeture et leur purification. Cela pouvait durer plusieurs mois.
Le Paschal ou Pascal de Saint-Savin
D’après Bascle de Lagrèze, on entendait par Pascal ou Paschal une paroisse : « Paschale id es Parachiale (1) ». Primitivement le mot, d’après lui, signifiait solennité. Le Pascal ou paroisse de Saint-Savin comptait huit villages dont Saint-Savin, Lau, Balagnas, Adas, Nestalas, Soulom, Uz et Castets (disparu de nos jours. À ce Paschal (2), il fut rajouté peu de temps après, d'autres villages comme Arcizans-Avant et Cauterets.
C’est en 944, que le comte de Bigorre, Raymond 1er, plaça sous la seigneurie directe de l'abbaye de Saint-Savin tous ces villages. Reconnu comme paroisse d’un vaste territoire alors appelé République. En 960, le vicomte du Lavedan, Fort Ané 1er, reconnaissait à l'abbaye tous les droits féodaux dont jouissait l’abbaye dans toute l'étendue du Pascal". Puis de 1037 à 1060 furent rajoutés d'autres villages. Le Pascal recouvrait alors pratiquement tous les villages des vallées d’Argelès et du Val d’Azun jusqu’à Cauterets, environ une soixantaine de villages.
Cela voulait dire que pour les actes importants de la vie d'un chrétien : baptême, mariage et enterrement, les villageois des dits lieux devaient se déplacer à l'abbaye de Saint-Savin. En plus des difficultés des déplacements, surtout l’hiver, cette « dure obligation » était doublée du coût des cérémonies. Par exemple pour un enterrement devait être payé différents doits : dépôts des corps, brancard, revenus des moines assistants, sacristain sonneur de cloche, cire des cierges, habit du défunt (3). Seules les familles pauvres en étaient exemptées.
Les conflits
De nombreux conflits s'engagèrent durant des siècles entre les pères abbés et les villageois qui ne pouvaient se déplacer, surtout l'hiver, et régler les coûts qu'avec de grandes difficultés. En 1131, une famille d’Arrens refusa le transfert du corps d’un défunt à Saint-Savin et enterrèrent leur parent décédé, directement à Marsous. Cet acte de rébellion suscita un énorme scandale, la famille fut condamner à payer une amende tant au comte Centulle qu’au père abbé. Mais les réfractaires se multiplièrent. En 1275, le pape Grégoire X dut intervenir pour assoir les droits de l’abbaye contre les habitants des vallées et leurs curés. L’usage fut maintenu tant bien que mal jusqu’à la Révolution.
(1) Archives de Pau
(2) Territoire sous l'autorité de l'abbaye.
(3) Bascle de Lagrèze dans son Histoire religieuse de la Bigorre, édition Hachette, 1863, page 244, n’évoque pas le coût de la messe ?
Bel exemple de cires de deuil. Collection privée. Veuve et son vêtement noir.
Veuve à Aspin en pays d'Aure. Photo Alix environ 1942
Sortie de messe et procession à Luz. Photo Sinturel environ 1936
« Les paysannes sortent de la messe en longues files, vêtues de noir, avec des capuchons gris, blancs, rouges. On dirait des processions de religieuses de tous les ordres » Victor Hugo à Saint-Pé
Durée du deuil
Le deuil durait une année. Année durant laquelle les membres de la famille proche, couramment appelée les perdants, se devaient d'offrir au défunt plusieurs messes. La première, le dimanche après la mort, appelée la messe des devoirs ets douets. Elle était suivie par trois autres messes : celle de la neuvaine, neuf jours après le décès, celle de la fin du mois et enfin celle clôturant l'année du deuil. La tombe était fleurie à la Toussaint et le jour de la fête patronale. La coutume voulait que l'on vienne prier sur la tombe, tous les dimanches après la messe.
Veuve. Monument aux morts de Campan
Lanternes de deuil
Le prêtre emportait avec lui, lors de la visite d'un mourant, une lanterne spéciale dite lanterne du viatique. Elle était composée d'une toile ronde surmontée d'un toit conique. Elle était ajourée de cercles concentriques percés au poinçon. Certains y voient un symbole solaire. Les plus anciennes remontent au XVe siècle. Elles étaient identiques, mais plus volumineuses, avec un trou à la base, pour le passage d'un bâton. Elles servaient pour les processions d'enterrement.
Sac à cire Cires protectrices du foyer. Photos J. Omnès. Musée pyrénéen
Différents types de cires Enrouleur de cires. Photos J. Omnès. Musée pyrénéen, Lourdes
Lanterne de deuil à main et sur support. Coll. privée. Photos J. Omnès
Belle lanterne, musée de Bagnères-de-Bigorre. Photo J. Omnès
Lire :
Annales de la Bigorre de J.-M. Deville, 1818
Traité des superstitions qui regardent tous les sacrements de J.-B. Thiers, 1741
Le droit de famille aux Pyrénées : Barège, Lavedan, Béarn, Pays basque, par Eugène Cordier, éditions A. Durand, Paris, 1859
Monographie des instituteurs (Aucun). Archives départementales Tarbes, 1887
La vie dans les Pyrénées du XVIe eu XVIIe siècles par Jean-François Soulet, éditions Cairn Pau, 2011.